Le plus et le moins

Erri de Luca

Folio, 2018

 

Ce recueil est constitué de 37 textes autobiographiques. L’auteur y parle de la famille, de Naples, du travail ouvrier, de la faim, de l’école, Mai 68, des livres qui se mélangent à la vie, du rôle du lecteur…

L’écriture est à voir, à entendre, à détailler. Comment la juxtaposition des mots fait qu’on retrouve ce style, cette voix ?

Le narrateur est présent, plus que présent, on fait corps avec lui.

Je suis totalement fan de l’écriture d’Erri de Luca.

Je connais l’isolement du corps sorti de son travail sur le chantier. C’est un épaississement de sa propre limite. Il arrive jusqu’à l’étourdissement de sa propre limite. Il arrive jusqu’à l’étourdissement des terminaisons nerveuses, après une journée de marteau-piqueur. Une bonne partie de ma vie, j’ai utilisé mon dos comme un plateau de chargement. J’essaie sans y parvenir de me souvenir si l’enfant qui regardait derrière la vitre les affrontements entre hommes et matière avait entrevu le sien, au milieu des corps dans la poussière.

Beaucoup de mes camarades plongeaient des aiguilles dans leurs veines, parce que le vin tue trop lentement et qu’ils étaient pressés. Moi, je ne savais pas faire comme eux, mon corps était trop fatigué le soir pour lui en demander plus. J’avais besoin de pages à tenir en main comme un verre et de m’y plonger la tête la première jusqu’au terminus.

Le garçon sauvage

Paolo Cognetti,

10/18, 2017

Je dois prévenir tout de suite que ce livre a pâti de ma lecture plutôt hachée cette semaine, la reprise du travail ayant été plutôt intense.

Le début est intéressant, l’auteur/narrateur part s’isoler en montagne dans une baita pendant plusieurs mois pour fuir des mois de travail qui l’ont abattu et laissé désemparé et surtout incapable d’écrire. Après la lecture de livres comme « Walden » de Thoreau, il décide de partir à la montagne dans un endroit plutôt isolé avec de quoi lire et écrire.

Par thème, l’auteur se raconte et raconte la montagne, sa vie, la topographie des lieux, les voisins…

Dans le même style, j’ai lu « Dans les forêts de Sibérie » de Sylvain Tesson, qui au bord du lac Baïkal était lui vraiment isolé. J’avais apprécié la richesse de son écriture avec le détail de ses lectures, de son quotidien, de ses pensées. Ici, Paolo Cognetti m’a semblé resté en surface de sa vie à la montagne d’ermite temporaire. Le début du livre m’a semblé très prometteur mais la suite s’est plutôt affadi. Néanmoins, quand j’ai fermé le livre, il m’a fait réfléchir, j’ai relu certains passages, je me suis interrogée sur cette histoire. J’ai aimé le portrait qu’il dresse de certains personnages comme Remigio, le propriétaire qui lui loue la baita lorsqu’ils comparent leur parcours de lecteur. J’ai trouvé cela intéressant.

La préface de Vincent Raynaud est éclairante sur Paolo Cognetti, son parcours et ses autres œuvres pas encore traduites en France.

Un livre à lire peut-être en prémices de son dernier roman « Les huit montagnes ».

Trois chevaux

Erri de Luca

Folio, 2016

J’ai énormément apprécié ce roman, le premier que je lis d’Erri De Luca. Le narrateur est un homme droit qui a partagé sa vie entre l’Argentine et l’Italie ainsi que la vie de deux femmes aimées. Il a vécu un drame en Argentine sous la dictature militaire et a du fuir en Italie. C’est un homme qui vit simplement, vivant de ses dons de jardinier, d’habitudes (manger dans le même petit resto le midi tout en lisant), disponible aux autres en vivant une certaine solitude. L’écriture est sereine et aussi distante par rapport aux affres vécus par son narrateur. Une certaine philosophie ressort de ce petit livre : il faut avancer dans la vie et être à l’écoute des autres offre des possibilités, des rencontres, des occasions qui modifient le cours de la vie…

Je lis des vieux livres parce que les pages tournées de nombreuses fois et marquées par les doigts ont plus de poids pour les yeux, par ce que chaque exemplaire d’un livre peut appartenir à plusieurs vies. Les livres devraient rester sans surveillance dans les endroits publics pour se déplacer avec les passants qui les emporteraient un moment avec eux, puis ils devraient mourir comme eux, usés par les malheurs, contaminés, noyés en tombant d’un pont avec les suicidés, fourrés dans un poêle l’hiver, déchirés par les enfants pour en faire des petits bateaux, bref ils devraient mourir n’importe comment sauf d’ennui et de propriété privée, condamnés à vie à l’étagère.

Ainsi toute la journée je suis dans un jardin où je m’occupe d’arbres et de fleurs, où je reste silencieux de bien des façons, pris par quelque pensée de passage, une chanson, la pause d’un nuage qui enlève au dos soleil et poids.

Il est étrange de se savoir perdus tous les jours sans jamais se dire adieu.

Les jours se passent comme ça. Le soir, chez moi, j’écrase des tomates crues et de l’origan sur des pâtes égouttées et je grignote des gousses d’ail devant un livre russe. Il rend mon corps plus léger.

C’est ce que doivent faire les livres, porter une personne et non pas se faire porter par elle, décharger la journée de son dos, ne pas ajouter leurs propres grammes de papier sur ses vertèbres.