Une fille sans histoire

Constance Rivière

Stock, 2019

Adèle est une jeune femme qui vit dans une extrême solitude. Pendant longtemps, son père était sa boussole mais depuis son décès, elle est seule et semble ne pas avoir de famille.

Elle semble avoir du mal à faire la distinction entre le réel et l’imaginaire dans lequel elle aime s’évader. Elle se dit transparente, semble avoir un problème de communication avec les autres. Pourtant, elle s’intéresse aux autres et plus particulièrement à ses voisins qu’elle observe de sa fenêtre ouverte le soir. Elle s’intéressait aussi à Mattéo, dont elle a subtilisé les dessins qu’il faisait sur la table du bar où elle travaillait et allait jusqu’à prendre dans son sac un objet quand il n’y avait pas de dessin. Mattéo n’a jamais rien su de son intérêt. Ce vol fut le motif de licenciement.

On sait dès le début de l’histoire qu’elle est condamnée par la justice mais qu’a-t-elle fait ?

La suite de l’histoire nous l’apprendra, de sa part mais aussi des personnes qui l’ont croisée. On reconstitue son histoire, son parcours, ses pensées.

L’histoire continue sur ce jour si grave des attentats terroristes du 13 novembre 2015. Adèle se retrouve à aller à la cellule psychologique quand elle apprend que Mattéo faisait partie des victimes du Bataclan et elle se présente comme sa petite amie. Elle ne dément pas quand les parents de Mattéo viennent d’Italie et elle continue ce rôle très actif dans l’association de victimes dont elle pense même être salariée.

Progressivement, Adèle devenait l’intime de chaque victime, elle semblait se nourrir, grossir et grandir de toutes les histoires individuelles.

Les parties sur Adèle racontée par un narrateur extérieur sont entrecoupées de points de vues des personnes qui l’ont croisé dès le début de cette histoire. Ces personnes témoignent à la première personne face à un juge. Le regard extérieur sur Adèle vient d’eux, ses parents, une personne de la cellule psychologique, le patron du bar où elle travaillait…

Par eux, on se représente Adèle physiquement et son évolution au sein des victimes.

Avec Adèle, on apprend son histoire trouble avec son père qui déménageait brutalement tous les deux ans comme s’il fuyait quelque chose. Une mère dont elle ne sait rien. Un père plutôt absent auprès duquel elle quémandait de l’attention.

Ce procès la met face à elle-même et à ses faux semblants.

Ce roman est extrêmement bien ficelé. On a envie de poursuivre la lecture afin d’en savoir plus sur Adèle et aussi sur comment elle évolue dans son mensonge et comment elle s’adapte à chaque événement. Les témoignages extérieurs sont intéressants car elle nous donne à voir réellement comment elle était et perçue par eux.

On peut s’interroger sur le besoin de l’auteure à ancrer son histoire dans l’histoire réelle du Bataclan. En tant que lectrice, c’est ce qui fait sa force justement mais c’est aussi ce qui est dérangeant parmi tous les témoignages réels de personnes victimes des actes terroristes qui ont été publiés depuis.

En allant sur la page Wikipédia des attentats du 13 novembre, j’ai appris qu’il y avait des fausses victimes se déclarant avoir été sur le lieu de l’attentat et avaient perçu des indemnités du Fond de Garantie des Victimes des actes de terrorisme.

Adèle, elle, ne voulait pas une indemnité mais s’attribuer une vie afin de mieux exister.

Ce premier roman est un roman maitrisé. Bravo à l’auteure !

Ce roman a été lu dans le cadre des 68 Premières fois.

La chaleur

Victor Jestin

Flammarion, 2019

Lieu : Un camping dans les Landes

Personnage principal : Léonard, 17 ans, un peu seul au milieu de cet univers

Drame : Oscar, retrouvé étranglé par les cordes d’une balançoire, un suicide.

Léonard a le réflexe de l’enterrer dans les dunes.

Pourquoi ?

Enterrer ce mal être qu’il ressent lui aussi ?

Les relations entre les jeunes sont plates. Le but des garçons, coucher avec une fille, comme si c’était le but ultime des vacances, un passage obligé que tous les garçons doivent faire, se conformant à un modèle.

Platitude, vide de leur existence, abandonnés…

Claire, la mère d’Oscar, ne s’affole pas plus que cela de la disparition  de son fils.

Léo, lui, est plutôt exaspéré de la présence de ses parents. Sa rencontre avec Luce s’annonce compliquée.

Ecriture au plus près de ses personnages. On les sent respirer à côté de nous. Léonard est plutôt un taiseux mais on ressent la plus infime de ses émotions. Cela peut mettre mal à l’aise car on doit supporter son mal être adolescent. On a sa vision du monde pathétique de ces adolescents dans ce camping. Cela pose le cadre.

La chaleur ne nous écrase pas mais c’est la lourdeur de l’atmosphère de cette histoire.

Livre plombant.

 

Après la fête

Lola Nicolle

Les Escales, 2019

Tes parents lisaient peu. En tout cas, pas de littérature. A l’école, lorsque tu étudiais des classiques, tu étais obligé d’acheter la dernière édition, en poche. Je faisais partie de ces enfants qui trouvaient les ouvrages dans la bibliothèque familiale. Ceux-là qui n’avaient pas les mêmes éditions que les autres, qui oscillaient entre la honte d’avoir une couverture différente – graphisme des années 1970 et la fierté de déclarer : Mes parents l’avaient déjà. Sous-entendu : l’école et nous faisons culture commune. Alors qu’il avait suffi de me servir, il te fallait construire. 

 

Livre de la fin de l’amour, cet amour, ce vrai premier amour qui sonne si fort.

Raphaëlle et Antoine se sont connus à la fac. Ils sont issus de deux milieux différents. Leur culture semble identique mais celle d’Antoine est une culture acquise par une envie de tout dévorer et de tout lire alors que celle de Raphaëlle est celle de sa famille dans laquelle, elle baigne depuis toute petite.

Tous les deux se sont engagés dans les Métiers du Livre, mais il n’est jamais vraiment dit lequel en particulier.

Raphaëlle est sure et confiante en elle. Pour Antoine, c’est plus difficile, la difficulté de trouver un travail n’améliore pas les choses et cela va faire basculer leur vie.

Raphaëlle est plus insouciante face à la vie avec la présence rassurante de sa famille.

Antoine n’a pas ce filet dans la vie.

La fuite de Raphaëlle face à ce quotidien, désilussionnée par ce monde du travail où ses idéaux de jeunesse se sont évanouis, ni rassérénée par sa vie de couple,  est inéluctable et constitue la liberté de son milieu.

La question se pose de nos rêves de jeunesse à jamais perdus.

Nos rêves de jeunesse qui sont notre colonne vertébrale.

Livre de la désillusion.

 

Lola Nicolle signe ici son premier roman qui montre des qualités indéniables.

Lu dans le cadre des 68 premières fois.

 

 

A la ligne

Joseph Ponthus

La Table Ronde, 2019

La vraie et seule liberté est intérieure

Mes mots peinent autant que mon corps quand il est au travail

J’ai hésité à lire ce livre et quand je l’ai eu entre les mains et lu quelques lignes, je l’ai tout de suite pris et lu.

Ce livre m’a emporté dans ce travail quotidien et harassant, emportant tout avec lui, dans ce travail à l’usine d’abord et ensuite dans les conserveries de poissons et dans un abattoir.

On se demande comment on peut ressortir de sa journée à l’abattoir. Et toujours ces gestes répétitifs, mobilisant tout le corps, sa force, son énergie, avec des horaires décalés où la récupération sera difficile.

Incessants cauchemars martelés
Répétitifs
Quotidiens

Pas une sieste pas une nuit sans ces mauvais rêves de carcasses
De bêtes mortes
Qui me tombent sur la gueule
Qui m’agressent
Atrocement
Qui prennent le visage de mes proches ou de mes peurs les plus profondes

Cauchemars sans fin sans vie sans nuit
Des réveils en sursaut
Draps inondés de sueur
Presque toutes les nuits

Joseph Pontus nous a fait plonger dans ce quotidien à sa manière, avec son style que j’ai beaucoup apprécié en allant à la ligne et en n’usant pas de ponctuation. Cela donne un sentiment de tension permanente. Un sentiment d’enfermement dans ce travail oppressant.

Les mots, l’écriture, la littérature ont semblé être des moyens de garder la tête hors de l’eau pour l’auteur et d’avoir du recul sur ce monde du travail très particulier et pourtant vécu par des milliers de personne. Ce travail marque la chair et marque l’âme, chaque jour étant une épreuve à surmonter, un temps contracté et envahissant.

L’usine est
Plus que tout autre chose
Un rapport au temps
Le temps qui passe
Qui ne passe passe pas
Eviter de trop regarder l’horloge
Rien ne change des journées précédentes

Un roman à lire pour son écriture et aussi pour la réalité qu’il soulève. J’ai apprécié toutes les références littéraires.

J’ai noté une référence dans ce livre pour prolonger la lecture « Le journal d’un manoeuvre » de Thierry Metz.

Vox

Christina Dalcher

Nil, 2019

Un bandeau faisant référence à « La servante écarlate », ce roman que j’ai tellement adoré, m’a fait acheter « Vox ». 

Un page-turner qui donne des frissons dans le dos. 

Une dystopie où la voix des femmes est bâillonnée. En effet, les femmes, les petites filles ont un bracelet qui comptabilise les mots dits chaque jour. Elles n’ont droit qu’à cent mots par jour. Si elles dépassent les 100 mots, elles subissent une décharge électrique… Et c’est un vrai cauchemar. 

Comme les femmes ne peuvent quasiment pas parler, elles ne peuvent pas travailler non plus. Elles se taisent et se retrouvent chez elles où elles n’auront pas le dernier mot dans leur famille. La suspicion y règne. Dans sa propre famille, dans son quartier entre voisin, tout le monde fait attention, surtout les femmes. Car les hommes sont libres eux bien qu’on se retrouve chez Big Brother.

On découvre donc Jean Mc Clellan, une ancienne docteure en neurosciences, mère de trois garçons, dont un ado et d’une petite fille Sonia, six ans qui porte déjà un bracelet.

L’inquiétude pour cette petite fille est prégnante, quelle sera sa vie ? Quel impact aura sur son développement le fait qu’elle ne puisse pas parler ? 

Ce monde se retrouve vite oppressant. Les femmes n’ont plus accès à l’écrit. Les livres ont disparu de la vue de toutes les femmes. Sonia, à l’école, n’apprend pas à lire mais à bien se taire et apprend tout dans le domaine ménager.

Cette société se trouve uniquement aux Etats-Unis, un point commun avec « La servante écarlate ». 

On suit l’aventure de Jean qui retrouve sa parole et son travail suite à la demande du président de trouver un remède à l’aphasie soudaine de son frère, spécialité de Jean. Elle va au fur et à mesure découvrir le pot aux roses qui fait froid dans le dos. 

Je suis peut-être pessimiste mais cette dystopie où la femme ne peut plus s’exprimer dans le sens littéral du terme et donc choisir sa vie est tellement plausible pour moi. Je n’ai pas de statistiques dans ce domaine mais j’aimerais savoir le pourcentage au monde des femmes qui ont la parole bâillonnée, les femmes qui ne peuvent pas décider de leur vie. Impression de régression après des années qui me semblaient plus libres pour les femmes, où l’avenir était celui de tous les possibles.

Un Trump a réveillé les consciences féminines aux Etats-Unis où on voit des femmes issues de minorités prendre des sièges au Congrès. De l’espoir, il y en a toujours. 

J’ai apprécié cette lecture qui était captivante et interroge bien sûr en confrontant notre monde à cette dystopie, être une femme et voir les peurs que cela engendre…

Par contre, ce qui m’a vraiment dérangé dans cette édition, c’est le nombre de coquilles qui rendait parfois une phrase incompréhensible ou inversait le sens d’une phrase.  Dommage !

 

Le Fou de Hind

Bertille Dutheil

Belfond, 2018

Un premier roman très réussi

Ce roman nous plonge dans toute une époque et un lieu avec une architecture particulière, la Cité des Choux à Créteil. 

Lydia perd son père Moshin. Il lui laisse une lettre lui expliquant qu’il n’est pas l’homme droit qu’il semblait être mais qu’il est responsable de la mort de quelqu’un. Lydia y trouvera aussi des photos de son père avec d’autres enfants et en particulier une petite fille, Hind. 

Lydia se lancera à la découverte de l’histoire de cette petite fille et ira à la rencontre du passé de son père. C’est un roman choral. Lydia contactera un ensemble de personne et chaque personnage lui cachera une partie de l’histoire mais nous, nous nous plongerons dans les pensées de ces personnes et on reconstituera petit à petit l’histoire de Hind. L’écriture de Bertille Dutheil est très précise et concise. Tout s’emboite parfaitement. Je me suis plongée tout de suite dans ce roman. Le cadre est intéressant. Créteil, cette cité moderne, l’histoire de ces immigrés et leur intégration. L’histoire de cette grande bâtisse surnommée le « château » où cohabitent plusieurs familles avec une cuisine communautaire, des enfants qui courent partout, des tranches de vie intenses, de l’entraide, des aînés gérant les plus petits, des parents cumulant plusieurs boulots pour survivre… La Cité et la drogue… Ce lupanar libanais… à se demander s’il a existé… Une partie m’a semblé trop longue c’est celle de Markus. J’aurais aimé entendre les voix de d’autres personnages tellement, ils me semblaient passionnants. C’est un roman riche, très riche et fascinant. 

Bertille Dutheil est une auteure à suivre. 

Lu dans le cadre des 68 Premières Fois.

La guérilla des animaux

Camille Brunel

Alma éditeur, 2018

Ce livre est essentiel, dans le sens où Camille Brunel y expose des faits et une pensée qui va à l’encontre de la pensée dominante qui est le spécisme.

Ce livre est une ouverture et une prise de conscience sur les droits des animaux et pourquoi les humains se sentent avoir le droit de les consommer, les enfermer, les tuer… Enfant, j’avais bien remarqué que les animaux dans les zoos tournaient en rond et avaient un regard vide. Je ressortais de ces endroits avec une infinie tristesse. Je ne vais plus dans les zoos. J’ai suivi par contre la naissance de ce petit panda et ses aventures dans ce grand zoo français et je m’étais dit que c’était bien car c’est une espèce en voie de disparition mais on devrait à la base protéger leur environnement naturel afin qu’ils puissent évoluer en liberté. Je ne pourrais pas regarder Camille Brunel en face car je mange des produits animaux (viande blanche, oeufs, poisson, fromages etc), j’ai des chaussures en cuir… 

Revenons à ce livre. Ce livre est une succession de courts chapitres avec deux personnages principaux, un homme et une femme qui pour faire valoir leurs idées vont faire preuve de violence à l’encontre des hommes et vont être radical face à leur attitude face aux animaux sauvages. Une scène d’entrée dans le roman nous scotche et nous glace d’effroi. Ces courts chapitres vont revenir sur le massacre des dauphins dans la baie de Taiji, parle de SeaWorld, SeaSheperd et aussi de Di Caprio… Camille Brunel y expose une multitude de facettes sur ces enjeux de la cause animale à travers notre planète et nous offre à saisir la grandeur de la petitesse humaine à user et abuser d’une supériorité qu’elle s’est octroyée vis à vis des autres espèces. Oui, nous sommes une espèce parmi d’autres. La fin de ce roman qui se situe dans un futur  proche semble évidente.

Notre vieux monde doit changer. Toutes nos conceptions obsolètes sont à revoir. On doit refonder une nouvelle société. Mais comment faire cela sans la guerre ? La prise de conscience, des actes quotidiens, l’éducation…

Un roman qui questionne et nous invite à aller plus loin. 

La rencontre des baleines était un spectacle parfait : le plus beau possible. L’art humain, dans ses derniers soubresauts, ne servait plus qu’à embaumer l’abjection ; le cinéma lui-même s’était fait mémorial de la honte, pensa Isaac, unique moyen de rappeler aux masses qu’elles arrivaient après l’innocence. Toutes les oeuvres d’art réunies, littérature, architecture, peinture, cinéma, ne valaient pas le centième de cet instant où une seule baleine avait daigné percer la pellicule des flots et faire entendre l’écho de la vieille promesse du bonheur sur Terre. Le choc n’était pas seulement sentimental, il était esthétique : il n’y avait plus aucune raison d’écrire, de construire, de peindre, de tourner ; il fallait venir ici, Pacifique Nord, et voir ça, squale offert aux puissances de la gravité. La surprise d’avoir été jugé digne de voir ce qui s’était créé de plus grand, de plus doux et de plus aimable à la fois – sans éprouver le besoin d’en concevoir d’admiration pour personne, sinon la baleine qui n’y était pour rien et ne s’en souciait pas – justifiant tout le reste. La vie entière était le chemin laborieux vers ce spectacle – là, aucun autre. 

Lu dans le cadre des 68 Premières fois

 

Fais de moi la colère

Vincent Villeminot

Les Escales, 2018

 

Ismaëlle, Ezéchiel.

Histoire lue dans un souffle.

Vincent Villeminot écrit aussi pour les adolescents et je vois très bien comment il peut les attraper dans les filets de son écriture.

Quand j’ai refermé ce livre, cette lecture m’a fait retourner vers mon adolescence et à la lecture exaltée des « Nourritures terrestres » de Gide et de son personnage Nathanaël.

Voilà une écriture exaltée mêlée à du fantastique, cette bête énorme, mangeuse de cadavres, tapie au fond du Lac Léman que les deux héros vont aller chasser sur leur petit bateau plusieurs jours de suite.

Le portrait d’Ezéchiel, africain, offre une image extravagante du diable auprès de cette population autochtone.

J’ai apprécié le personnage de cette jeune fille de 17 ans, Ismaëlle qui prend sa vie en main au décès de son père en reprenant son travail de pêcheur sur le lac. Elle affronte comme son père la Solitude.

Ce livre est une aventure à vivre. J’ai beaucoup aimé ce style d’écriture qui vous emmène dans un tourbillon : des petits moments de prose essentiel, des textes plus longs où on se retrouve dans l’histoire et l’action, les monologues intérieurs des personnages, des dialogues, des phrases courtes. Tout cela crée un rythme qui nous fait varier les moments de lecture.

J’aime la lecture pour adolescents, je me pencherai sur les autres livres de Vincent Villeminot.

Lu dans le cadre des 68 premières fois.

 

Une mère modèle

Pierre Linhart

Editions Jeanne Carrière, 2018

Ce livre raconte l’histoire d’une femme, d’une mère plus particulièrement, mais aussi d’une famille et d’un fils, un mari, un écrivain et une musicienne.

C’est une famille modèle à qui tout semble réussir par les métiers exercés passionnément, une vie riche sans encombres mais aussi une vie de tous les possibles.

Tout bascule quand William, le mari de Florence obtient un poste universitaire à New York. A temps partiel au début et à plein temps ensuite. Et là, se pose la question d’aller vivre tous ensemble à New York ou pas. Joachim, le fils de 10 ans, qui semble souffrir du manque de son père et devient difficile. Le manque dans la famille. La fatigue. Les tranquillisants.

Le dilemme se pose pour Florence : aller s’installer à New York tout en sachant qu’elle ne retrouvera pas son travail qu’elle exerce passionnément à l’Opéra Bastille.

A partir de là, tout déraille.

On comprend que l’apparence dorée de cette famille ne l’est pas. Tout se craquelle.

Le souvenir de sa sœur musicienne morte trop tôt. La passion de la musique qu’elle ne partage pas ni avec son mari, ni avec son fils.

Elle avait eu des petits amis. Tous étaient musiciens et c’était suffisant pour les unir. Elle n’aurait jamais envisager de tomber amoureuse d’un homme qui ne se consacrât pas sa vie à la musique. Mais William était aussi dévoué à la littérature qu’elle l’était à la musique. Ils avaient cet engagement commun, qui les rendait si familiers l’un à l’autre.

Elle va s’enticher ensuite de ce jeune camarade de classe de Joachim, Moussa à qui elle pense apporter beaucoup et qui semble reconnaissant. Il semble doué pour la musique. Elle lui donnera des leçons de piano. Elle fera avec lui ce qu’elle aurait aimé partagé avec son fils.

Sa vie à Paris, cet équilibre instable, tiraillée entre le modèle de mère qu’elle aimerait être, son travail, son amour devenu plus incertain pour William fait que tout bascule complètement. Elle en est malade, sombrant dans la folie, le chaos. Elle est arrivée à un point culminant de tensions que tout éclate à ce moment et que cela éclate dans son corps.

N’assumant plus grand chose, son fils part vivre avec son père à New York. Elle se retrouve petit à petit.

Au début, il y avait quelque chose de vertigineux. L’appartement pour elle seule, ne pas aller à l’école, ne pas l’accompagner au basket et au judo. Plus d’horaire à respecter, ni repas fixe à préparer, ni devoirs à surveiller… Tout ce qui était chronométré, ritualisé et intangible avait disparu,comme l’impératif de prendre en compte les besoins et les désirs de Joachim et William. Ils étaient si présents en elle qu’il fallait à présent découvrir ce que leur absence allait laisser émerger.

Ce fut d’abord un immense vide qui paraissait impossible à combler. Que faire ? Son désir était comme un vestige enfui dans les limbes inaccessibles, qu’il fallait exhumer. Ce qu’elle fait. Elle le déblaie, le restaure, le polit. Livrée à la solitude, elle le laisse croître en elle, se préciser, se renforcer, pour qu’il l’entraîne vers l’inconnu. Elle se construit dans cette liberté nouvelle où tout paraît possible.

Elle renoue avec son fils dans cette liberté. Elle arrive à être mère dans la distance. Et le fils aussi trouve sa place. Il se met à jouer de la batterie alors qu’il ne semblait pas aimé cela. Le lien est là.

Très beau livre sur la relation mère/fils mais aussi le couple, la place de la famille et de son épanouissement personnel au milieu de toutes ces contraintes. Oui, il faut faire des choix. Des choix de vie pour soi.

Pierre Linhart est scénariste et ici tout semble bien codifié, pensé et écrit afin de ménager le suspens du lecteur.

C’est un très bon premier roman que j’ai pris plaisir à lire.

Lu dans le cadre des 68 premières fois.

 

La carapace de la tortue

Marie-Laure Hubert Nasser

Folio, 2016

Présentation de l’éditeur

« Oui, je suis venue sur terre comme une tortue, encombrée d’une carapace. Qui rentre la tête quand le monde extérieur est trop douloureux ». Clotilde cache ses complexes derrière d’amples vêtements. Après avoir tenté sa chance à Paris, cette jeune Bordelaise revient au pays grâce à sa grand-tante. Sous des dehors revêches, Thérèse a prévu pour sa petite-nièce un strict programme de remise en forme. Avec l’aide de tous les voisins qui ont au préalable passé un casting impitoyable, Clotilde devra sortir de sa réserve. Il y a Claudie qui aime raconter ses histoires de fesses, Sarah et Sophie, délaissées par leur mari et bien décidées à s’en accommoder, Elisabeth, la business woman meurtrie de ne pas voir grandir ses trois enfants… Chacun à sa façon va aider Clotilde à reprendre goût à la vie. Une galerie de portraits attachante, l’histoire d’une renaissance racontée avec énergie et un humour parfois corrosif.

Mon avis

Ce livre m’a tout de suite fait penser à « Big » de Valérie Tong Cuong à cause du personnage principal hyper complexé dans son corps, dans ses kilos en trop. Le personnage de Valérie Tong Cuong, elle, ne sortait que la nuit et vivait hors de la société. Ici, dans ce livre, Clotilde est une jeune femme qui a un corps qui est décrit comme une « masse informe » et qui cache son visage sous un chapeau. Ici, Clotilde subit. Elle a tout de même pris la décision de quitter sa famille qui n’a jamais su l’aimer et de demander l’aide d’une tante. Mais à part cela, les pensées de Clotilde me semblaient vides, concentrées sur ses complexes physiques.

Plus simplement, elle avait constaté, jour après jour chez ses voisins, que l’enveloppe physique qui la contenait pouvait éloigner ceux qu’elle avait commencé à aimer. Une aversion instantanée. Comme une brûlure. Un rejet qui détournait les visages, même bienveillants. Comme le regard fuyant du père de Léo qui partait le matin pour son jogging. Dans ses yeux, elle aurait désiré lire de l’amitié. Un signe d’affection. Pas plus. Elle n’en voulait pas plus.

J’ai eu du mal à avoir de l’empathie pour ce personnage jusqu’au moment où le journal de Clotilde nous est donné à lire. Son journal nous fait découvrir le calvaire qu’elle a vécu. On apprend aussi que sa naissance est du à un événement tragique qui fait qu’elle n’a pas pu être aimée par ses parents ou dans tous les cas, mal aimée. On prend connaissance de la maltraitance psychologique qu’elle a subi donc au sein de sa famille et à l’école. Par son journal, on découvre une jeune femme cultivée dont la passion pour l’Art l’a maintenue dans la vie et aidée à vivre. Et on assiste dans ce journal à son éveil de la vie, des efforts qu’elle fit pour vaincre ses complexes et avancer dans la vie. A un moment, on se serait presque cru dans un conte de fées avec toutes ses bonnes fées qui se penchent sur elle mais l’auteure en a décidé autrement pour la fin de ce roman. Cette fin me fait penser d’ailleurs à celle de Renée dans « L’élégance du hérisson » de Muriel Barbery. Elle se retrouve fauchée en plein début de bonheur, d’un futur plus radieux.

J’ai failli lâcher la lecture donc juste avant la lecture du journal de Clotilde car je trouvais ces complexes disproportionnées, ses problèmes de communication extrêmes. Je n’ai jamais vu de personnes si laides qui doivent vivre ce cauchemar. La beauté pour moi est ailleurs aussi, dans l’intelligence humaine, le savoir-vivre et un savoir-être agréable, la curiosité et l’ouverture aux autres, l’humour, savoir se moquer de soi… Et lire des livres où les personnages se rendent la vie impossible à cause de leur physique, cela m’insupporte.

Finalement, j’ai apprécié la lecture de ce roman qui fait réfléchir sur les blessures psychiques, la relation au corps et la méchanceté ou la bêtise de certains.

Clotilde aimait l’Art et c’est ce qui l’a fait exister aux yeux des autres, c’est ce qui l’a rendu belle.

Cultivons nos passions !

J’ai découvert une nouvelle maison d’édition. Avant d’être édité en Folio, ce roman était édité aux Editions Passiflore. C’est une maison d’édition du Sud-Ouest située à Dax.

On découvre que Marie-Laure Hubert Nasser a écrit un deuxième roman « Spleen Machine » que je pense lire.