Apprendre à lire

Sébastien Ministru

Collection « Le courage », Grasset, 2018

J’ai apprécié la lecture de ce roman dont le thème central est la relation d’un fils de 60 ans avec son père.

J’ai apprécié la lecture fluide et simple mais riche apportée par cette écriture tout en retenue.

On découvre ce narrateur pourtant jeune mais vieux qui doit prendre soin de son père et cela ne s’annonce pas facile face à ce père plutôt acariâtre.

Ce père vieillissant qui devient dépendant avec l’âge n’est plus ce père que le narrateur a connu plus jeune et à qui il avait pu faire mille reproches. Les relations sont très complexes entre réminiscences du passé et les contraintes du quotidien de la vieillesse.

S’y adjoint le thème du couple, sa sexualité inexistante, l’amour malgré tout.

La prostitution.

Et ce personnage, Ron, que j’ai trouvé très attachant et intéressant qui avec sa jeunesse a tout compris de la vie. Il sait où aller et comment faire pour y aller sans s’encombrer du passé.

Ce dernier, voulant devenir instituteur, se retrouve à apprendre à lire et écrire au père acariâtre du narrateur. Et on découvre ou redécouvre que oui, certaines personnes n’ont pas pu aller à l’école et pu apprendre à lire. Elles se sont retrouvées à la marge silencieuse du monde. Ce jeune homme a fait beaucoup pour remettre sur les rails cette famille pour qui le mot « famille » ne signifiait plus rien.

L’écriture de Sébastien Ministru promet beaucoup. Il sait nous faire entrer dans la psychologie des personnages et leurs dilemmes.

Le narrateur a su accompagner la fin de vie de son père et dans le même temps, cela l’a aidé à se libérer des tensions du passé.

Voilà, j’ai aimé ce livre.

Lu dans le cadre des 68 premières fois

Les déraisons

Odile D’Oultremont

Les Editions de l’Observatoire, 2018

 

En exergue du livre, une citation « J’accepte la grande aventure d’être moi » de Simone de Beauvoir prise dans « Cahiers de jeunesse ».

C’est ce que font les deux protagonistes de ce livre, Louise, femme fantasque qui crée un monde au quotidien par ses mots et sa créativité de peintre et Adrien, son compagnon de route, homme très régulier.

Le charme du livre repose sur le charme de ce couple qui se sont trouvés et qui vivent et créent leur vie au quotidien, leur univers à eux.

Le déséquilibre se crée quand Louise est atteinte d’un cancer du poumon. Mais ils joueront leur vie jusqu’au bout. La réalité est présente par le monde du travail abrupte et la mise au placard d’Adrien. L’entreprise, qui l’assigne en justice car il a abandonné son poste incognito pendant un an tout en percevant ses salaires, montre la farce qui se joue.

Il faut un certain état d’esprit pour entrer dans ce livre et l’histoire de cette femme, Louise et son univers particulier. Cela peut sembler enfantin au début mais le tension vient par la suite avec le combat de Louise contre son cancer et là, on est beaucoup plus embarqué dans l’histoire et ce combat contre la maladie peut justifier d’agir et de réagir avec cet état d’esprit qui apporte de la légèreté à la lourdeur du quotidien et des traitements.

Adrien se révélera à la hauteur pour prendre soin de Louise.

Et pourtant, pour la première fois, devant lui, elle aurait voulu s’émouvoir, flancher, pleurer, se comporter comme une femme normale, mais elle ne pouvait pas. Adrien déployait une telle énergie pour prendre le relais, fabriquer une résistance, faire de la créativité, de l’imagination, de la désinvolture son maquis à lui. Elle se refusa à verser une larme. Elle devait être grande, immense, gigantesque, considérablement relever la barre, se montrer à la hauteur, dans un équilibre précaire, tout le corps étiré dans une gymnastique conjointe du cœur et de l’esprit, pour rester au niveau d’Adrien.

L’alternance des pages sur le procès qui l’oppose à son entreprise et celles de son histoire avec Louise du début à la fin crée un rythme dans le livre et l’aère. L’histoire est racontée du point de vue d’Adrien, homme conventionnel, j’aimerai connaître celui de Louise et découvrir ses pensées. Cela pourrait être un excellent exercice d’écriture à imaginer cela.

Ce livre est pour vous si vous aimez lire et jouez avec les mots et les concepts avec une certaine loufoquerie. Beaucoup de tendresse ressort de ce livre finalement et laisse son empreinte le livre refermé.

 

Lu dans le cadre des 68 Premières Fois.

 

 

Comme des larmes sous la pluie

Véronique Biefnot,

Le Livre de Poche, 2012

Premier livre d’une trilogie qui met en scène une mystérieuse jeune femme Naëlle.  J’ai retrouvé cette héroïne que j’avais découvert dans « Les murmures de la terre », attirée par cette histoire de jeune femme qui part faire un Trek en Bolivie à la recherche de son passé. Vous savez comme j’aime les histoires de marcheurs, d’aventures… Il faut savoir que « Les murmures de la terre » est le deuxième tome de la trilogie. Oui, j’ai lu dans le désordre. 

J’avais chroniqué ce livre en 2015 https://voyageauboutdemeslivres.wordpress.com/2015/01/19/les-murmures-de-la-terre/ et j’ai des souvenirs très précis de ce livre tellement il m’avait marqué.

Ici dans ce premier tome, on découvre le drame qu’a vécu Naëlle dans son enfance. Un truc horrible… Un drame qui n’est pas un fait isolé car dans l’actualité, il a déjà été relaté ce genre de drame. Je ne vous en dirais pas plus pour que vous puissiez découvrir cela dans le livre.

Ce drame terrible explique l’appréhension de Naëlle pour les contacts sociaux, sa vie si seule avec son chat, mais elle s’en sort bien, très bien même jusqu’à cette rencontre qui fait tout basculer.

Le deuxième personnage mis en scène est Simon, écrivain célèbre qui peut sembler superficiel au prime abord mais qui cache une blessure, le décès prématuré de sa femme le laissant seul avec son fils. Cette superficialité est une fuite du deuil, du malheur et on entrevoit toute l’humanité de cet homme avec sa force et ses faiblesses qui ne manque pas de courage pour aller jusqu’au bout de ses idées. Naëlle et Simon vont se rencontrer de façon surprenante. Beaucoup d’hommes auraient fui cette femme au passé trouble associé à la folie psychiatrique.

Simon se rendit compte que cela ne le gênait pas outre mesure, c’était pourtant très inhabituel : partager de longs silences avec une inconnue, dans une sorte de complicité muette ; comme si chacun avait compris que l’heure n’était pas aux paroles, qu’il fallait d’abord apprivoiser les silences.

Dans son métier, volontiers cynique, il est tellement coutumier de se présenter, de s’expliquer, de se commenter ; il est si rare d’écouter le langage du corps, de laisser s’ouvrir le dialogue des yeux, de ressentir, tranquillement, la vibration de l’autre avant de s’aventurer dans son périmètre intime.

Tous deux appréciaient cette étape, cette progression fragile qui, vue de l’extérieur, pouvait sembler gênante.

Je retrouve l’écriture fine et sensible, subtile de Véronique Biefnot, une écriture qui me touche énormément.

Véronique Biefnot raconte bien l’enfermement, la violence de l’enfance, le monde psychiatrique tout en saupoudrant l’histoire avec des moments plus doux et heureux, qui sont pour nous des respirations dans la lecture. J’aime le fait que l’héroïne puisse s’en sortir malgré tout même si rien ne semble gagné.

Je pense lire cet été la suite qui est « Là où la lumière se pose ».

 

Ce livre est enfin sorti de ma PAL. Il y était depuis Octobre 2015.

Monsieur Origami

Jean-Marc Ceci

Gallimard , 2016

Comment parler de ce roman que vous devez absolument lire alors que la canicule me fait perdre tous mes moyens de réflexion ?

Je vais essayer. L’écriture de Jean-Marc Ceci est dépouillée, précise mais essentielle. « Monsieur Origami », dès les premiers mots, nous fait entrer dans une autre dimension, celle d’un état d’esprit importé du Japon. Chaque chapitre nous donne à contempler un tableau. On n’entre pas dans la psychologie des personnages. On voit les personnages. On découvre le washi, ce papier que fabrique Monsieur Kurogiku avec lequel il pratique l’origami. L’origami pourrait être une banale activité de pliage mais elle devient méditation avec l’activité de dépliage et d’observation. Ce Monsieur Kurogiku, appelé aussi Monsieur Origami vit dans une maison qui a été abandonnée par son propriétaire, en Toscane. Il a quitté le Japon pour une femme entrevue, une illusion. L’arrivée d’un homme plus jeune, Casparo, travaillant à un projet de montre complexe, permet d’en savoir un peu plus sur ce monsieur. J’ai beaucoup aimé ce livre qui procure un sentiment de bien-être rien qu’à le lire. Je le relirai pour mieux savourer encore chaque mot et essayer de saisir ce mystère d’écriture. Ce livre peut devenir un livre de chevet qu’on feuillette et dont on relit certains passages.

 

Du train où vont les choses à la fin d’un long hiver

du train où vont les choses

Francis Dannemark

Robert Laffont, 2011

J’avais adoré de cet auteur « La véritable vie amoureuse de mes amies en ce moment précis » qui était un vrai livre doudou qui fait du bien.

J’ai poursuivi ma découverte de cet auteur par ce petit livre de 92 pages « Du train où vont les choses à la fin d’un long hiver ». Notez la longueur des titres de cet auteur, titres que j’adore.

J’ai aimé retrouvé l’écriture et le regard de Francis Dannemark. On y trouve beaucoup d’amour et de tendresse pour ses personnages.

Christopher et Emma se rencontrent à la gare de Bruxelles et vont tous deux à Lisbonne. Un long voyage en train. Elle rend visite à sa sœur, lui a décidé de tout plaquer et de travailler dans un café d’un ami. Ces deux-là se trouvent durant cet intermède et parlent de leurs réflexions sur le monde, la société de consommation… Des références culturelles (cinéma, littérature, musique) et beaucoup de douceur.

Si on accueillait l’Autre avec gentillesse, le monde en serait transfiguré. On se prend à y rêver en lisant ce livre.

En ce qui concerne l’auteur, Francis Dannemark, j’ai vu qu’il collabore de très près avec Véronique Biefnot (une autre auteure que j’adore) et ont des projets communs d’écriture qu’on peut découvrir ici : http://www.francisdannemark.be/biefnot-dannemark/l-auteur/

De bonnes lectures m’attendent encore cette année.

Les murmures de la terre

de Véronique Biefnot

Les murmures de la terre

Le Livre de Poche, 2014

J’adore ce livre. On entre dans son écriture par je ne sais quel enchantement. On se sent embarqué dans les méandres de l’écriture. On part pour un voyage. On suit Naëlle à la rencontre d’elle-même, de son passé.

Ce livre parle de chamanisme, c’est très mystérieux pour moi.

Sans les visions et les expériences hallucinées de leurs pères fondateurs, aucune religion n’aurait jamais existé.

Le chamanisme est antérieur à toutes les religions orientales, mais il partage avec celles-ci la notion de communion de l’homme avec les végétaux, les pierres, les animaux… Les bouddhistes et les hindous pratiquent aussi la méditation mystique, les visions de Mahomet et les expériences de bouddha ont contribué à créer l’Islam et le bouddhisme.

Ce roman est un roman choral. Chaque chapitre débute par le pays, la ville ou le village, la date, l’heure  et le nom de la personnes. Pour Naëlle, il est souvent indiqué son prénom mais pas le reste, car tout au long du livre, on ne sait pas où elle se trouve.

Ce roman nous envole loin dans un pays lointain, la Bolivie, avec des allers et retours avec Paris, où se trouve le compagnon écrivain de Naëlle, la Belgique où se trouve une amie, qui s’interroge sur son couple…

Ce roman nous tient en haleine tout au long du livre et l’écriture est riche et cadencée. J’ai vu que Véronique Biefnot était aussi comédienne, ce texte pourrait être entendu, joué dans un film.

Vous avez dû, Naëlle, dans votre jeune vie, affronter des épreuves tellement lourdes que votre esprit a mis au point toute une série de mécanismes, de remparts, de masques pour vous aider à supporter une réalité supportable.

On avancera, avec Naëlle, sur cette vérité cachée au plus profond d’elle-même.

Plutôt que de tenter vainement de contrôler ce qui se passe autour de nous, auquel, le plus souvent, nous ne pouvons rien changer, nous pouvons essayer d’agir, sur ce qui se passe en nous : comme un artisan, tenter d’être le créateur de notre existence, de choisir avec soin les couleurs qui vont l’éclairer.

Ce livre est un hymne à la vie : ne jamais abandonner, continuer, être soi avec son vécu, ses faiblesses et ses forces. C’est un livre stimulant car il nous fait réfléchir sur notre vie, sur la vie et ses aléas.

J’ai découvert que ce livre faisait suite à « Comme des larmes sous la pluie ». Ne pas l’avoir lu, ne pas déranger dans ma lecture. Et il y a une suite qui s’appelle « Là où la lumière se pose ».

Je vais les lire.