Une fille sans histoire

Constance Rivière

Stock, 2019

Adèle est une jeune femme qui vit dans une extrême solitude. Pendant longtemps, son père était sa boussole mais depuis son décès, elle est seule et semble ne pas avoir de famille.

Elle semble avoir du mal à faire la distinction entre le réel et l’imaginaire dans lequel elle aime s’évader. Elle se dit transparente, semble avoir un problème de communication avec les autres. Pourtant, elle s’intéresse aux autres et plus particulièrement à ses voisins qu’elle observe de sa fenêtre ouverte le soir. Elle s’intéressait aussi à Mattéo, dont elle a subtilisé les dessins qu’il faisait sur la table du bar où elle travaillait et allait jusqu’à prendre dans son sac un objet quand il n’y avait pas de dessin. Mattéo n’a jamais rien su de son intérêt. Ce vol fut le motif de licenciement.

On sait dès le début de l’histoire qu’elle est condamnée par la justice mais qu’a-t-elle fait ?

La suite de l’histoire nous l’apprendra, de sa part mais aussi des personnes qui l’ont croisée. On reconstitue son histoire, son parcours, ses pensées.

L’histoire continue sur ce jour si grave des attentats terroristes du 13 novembre 2015. Adèle se retrouve à aller à la cellule psychologique quand elle apprend que Mattéo faisait partie des victimes du Bataclan et elle se présente comme sa petite amie. Elle ne dément pas quand les parents de Mattéo viennent d’Italie et elle continue ce rôle très actif dans l’association de victimes dont elle pense même être salariée.

Progressivement, Adèle devenait l’intime de chaque victime, elle semblait se nourrir, grossir et grandir de toutes les histoires individuelles.

Les parties sur Adèle racontée par un narrateur extérieur sont entrecoupées de points de vues des personnes qui l’ont croisé dès le début de cette histoire. Ces personnes témoignent à la première personne face à un juge. Le regard extérieur sur Adèle vient d’eux, ses parents, une personne de la cellule psychologique, le patron du bar où elle travaillait…

Par eux, on se représente Adèle physiquement et son évolution au sein des victimes.

Avec Adèle, on apprend son histoire trouble avec son père qui déménageait brutalement tous les deux ans comme s’il fuyait quelque chose. Une mère dont elle ne sait rien. Un père plutôt absent auprès duquel elle quémandait de l’attention.

Ce procès la met face à elle-même et à ses faux semblants.

Ce roman est extrêmement bien ficelé. On a envie de poursuivre la lecture afin d’en savoir plus sur Adèle et aussi sur comment elle évolue dans son mensonge et comment elle s’adapte à chaque événement. Les témoignages extérieurs sont intéressants car elle nous donne à voir réellement comment elle était et perçue par eux.

On peut s’interroger sur le besoin de l’auteure à ancrer son histoire dans l’histoire réelle du Bataclan. En tant que lectrice, c’est ce qui fait sa force justement mais c’est aussi ce qui est dérangeant parmi tous les témoignages réels de personnes victimes des actes terroristes qui ont été publiés depuis.

En allant sur la page Wikipédia des attentats du 13 novembre, j’ai appris qu’il y avait des fausses victimes se déclarant avoir été sur le lieu de l’attentat et avaient perçu des indemnités du Fond de Garantie des Victimes des actes de terrorisme.

Adèle, elle, ne voulait pas une indemnité mais s’attribuer une vie afin de mieux exister.

Ce premier roman est un roman maitrisé. Bravo à l’auteure !

Ce roman a été lu dans le cadre des 68 Premières fois.

Femme à la mobylette

Jean-Luc Seigle

J’ai Lu, 2018

Après avoir lu et apprécié « Je vous écris dans le noir » pour le Grand Prix des Lectrices de ELLE 2016, j’avais envie de découvrir un autre titre de Jean-Luc Seigle et ce choix s’est porté sur « Femme à la mobylette ». Le titre déjà m’intriguait. J’ai été heureuse de retrouver l’écriture de Jean-Luc Seigle dans ce portrait de femme, Reine dont la vie ne semble pas être aussi majestueuse que son prénom.

Mère, élevant seule ses trois enfants, suite au départ de son compagnon, vivant en pleine cambrousse, dans une masure gardant trace de sa vie commune désordonnée. Sans moyen de transport, elle ne peut travailler dans cette campagne isolée. En rangeant la montagne de ferraille du jardin, elle trouve une mobylette en bon état et c’est le début d’un nouveau départ : un travail où elle peut exercer son talent, l’amour charnel et plus avec Jorgen, la vie heureuse avec ses enfants…

On baignera dans cette conquête de la liberté et de l’indépendance trouvée. Ses enfants occupent une place importante dans son esprit. L’ouverture du livre est inquiétante liée à une incertitude dramatique. Ce passage est tout en tension dans la nuit profonde où se trouve Reine. Cette nuit tendue à l’extrême exprime le désarroi le plus total où se trouve cette jeune femme de 35 ans. Sombrer pour mieux repartir. C’est ce qu’elle fera selon son point de vue. Un autre point de vue sera celle de son avocate qui nous plongera dans une toute autre réalité.

J’ai retrouvé dans l’écriture de Jean-Luc Seigle son attachement tendre à ses personnages. Nous sommes touchés par cette femme qui nous montre beaucoup de courage et qui veut avancer. J’ai lu ce livre comme un témoignage de la vie de beaucoup de femmes seules qui élèvent seules leurs enfants et qui peuvent être vite submergées et où tout devient très compliqué. Rouler en mobylette à une autre époque était un symbole de liberté et de défiance. J’ai vu ce personnage ainsi : une femme libre vivant ce qu’elle a à vivre et se défiant du regard des autres. Cette liberté l’a menée à sa fin.

La fin du roman est amère à l’image de la fin de Renée dans « L’élégance du hérisson » de Muriel Barbery.

A lire pour ce personnage et cette écriture toute en sensibilité.

 

 

Eparse

Lisa Balavoine

JC Lattès, 2018

Le début du livre m’a happée.

Enfant, je n’avais pas envisagé de devenir une personne normale.

Désormais il convient d’être réaliste. La peau de mon visage se constelle de taches brunes de mois en mois, parfois de jour en jour. Il faudrait que je prenne rendez-vous chez un dermato. Je vieillis. J’ai des rides persistantes autour de mes yeux. Mon cou s’empâte, mes paupières s’affaissent, mon corps se flétrit. Certains matins, je me réveille trempée de sueur. J’ai parfois mal en dos. Maigre consolation, je n’ai pas de cheveux blancs. En revanche, je crois que j’ai perdu un centimètre. Je laisse faire. Je ne lutte pas. Je n’ai pas les armes.

Cette entrée dans le roman m’a tout de suite plue. Je me suis reconnue dans ces propos. Sauf que moi, en plus j’ai les cheveux blancs.

Ce livre est composé de fragments, de pensées de l’auteur qui nous plonge sur sa condition de femmes, sa vie, son passé, ses souvenirs d’enfance, ses parents…

Cela m’a tout de suite fait penser à Annie Ernaux par la volonté de partager le vécu, le ressenti des femmes, nos faiblesses sans jugement aucun, dire les choses sans fard.

Ce livre est ponctué de définition de mots inventés : archéolovie, désordinaire, couplabilité…

Certains fragments apparaissent comment une litanie.

J’ai perdu mes premiers dessins. J’ai perdu mon temps souvent. J’ai perdu ma virginité sans en être bouleversée. J’ai perdu mes clés.

Ou bien des « J’ai essayé… », des « Je me souviens… ». Cela donne un rythme au livre.

L’auteure se pense sur sa relation aux hommes, les premières fois, le divorce, la solitude parfois insupportable, le questionnement amoureux, la tristesse, la mélancolie, la jalousie comme maladie…

J’ai beaucoup aimé ce roman autobiographique pour les petites réflexions sur son parcours de vie, la musique présente encore et encore, sa structure, les mots inventés… Et cela fait un effet très rock’n roll. Lisa Balavoine est une fille très rock’n roll.

Et de garder au fond de moi l’assurance qu’un jour les regrets peuvent devenir de doux souvenirs.

Ce roman a été lu dans le cadre des 68 premières fois.

 

Trois chevaux

Erri de Luca

Folio, 2016

J’ai énormément apprécié ce roman, le premier que je lis d’Erri De Luca. Le narrateur est un homme droit qui a partagé sa vie entre l’Argentine et l’Italie ainsi que la vie de deux femmes aimées. Il a vécu un drame en Argentine sous la dictature militaire et a du fuir en Italie. C’est un homme qui vit simplement, vivant de ses dons de jardinier, d’habitudes (manger dans le même petit resto le midi tout en lisant), disponible aux autres en vivant une certaine solitude. L’écriture est sereine et aussi distante par rapport aux affres vécus par son narrateur. Une certaine philosophie ressort de ce petit livre : il faut avancer dans la vie et être à l’écoute des autres offre des possibilités, des rencontres, des occasions qui modifient le cours de la vie…

Je lis des vieux livres parce que les pages tournées de nombreuses fois et marquées par les doigts ont plus de poids pour les yeux, par ce que chaque exemplaire d’un livre peut appartenir à plusieurs vies. Les livres devraient rester sans surveillance dans les endroits publics pour se déplacer avec les passants qui les emporteraient un moment avec eux, puis ils devraient mourir comme eux, usés par les malheurs, contaminés, noyés en tombant d’un pont avec les suicidés, fourrés dans un poêle l’hiver, déchirés par les enfants pour en faire des petits bateaux, bref ils devraient mourir n’importe comment sauf d’ennui et de propriété privée, condamnés à vie à l’étagère.

Ainsi toute la journée je suis dans un jardin où je m’occupe d’arbres et de fleurs, où je reste silencieux de bien des façons, pris par quelque pensée de passage, une chanson, la pause d’un nuage qui enlève au dos soleil et poids.

Il est étrange de se savoir perdus tous les jours sans jamais se dire adieu.

Les jours se passent comme ça. Le soir, chez moi, j’écrase des tomates crues et de l’origan sur des pâtes égouttées et je grignote des gousses d’ail devant un livre russe. Il rend mon corps plus léger.

C’est ce que doivent faire les livres, porter une personne et non pas se faire porter par elle, décharger la journée de son dos, ne pas ajouter leurs propres grammes de papier sur ses vertèbres.

Bonheur fantôme

Anne Percin

Babel, 2017

La lecture hachée et décousue du début a laissé place à une lecture plus réflexive et intense ensuite.

L’installation de Pierre, vingt-huit ans, dans la campagne du Perche prend du temps et laisse ensuite place à la découverte de ce personnage, de son passé.

De nos jours, il faut beaucoup de soin pour redevenir sauvage. Il faut oublier ce qu’on nous a dit, défaire le travail de deuil de l’adolescence, désapprendre le langage des villes. Redevenir sauvage, c’est redevenir enfant. Il y a des habitudes à perdre. La pudeur, la conscience de son apparence, le sens de la mesure et de la décence : voilà contre quoi il faut lutter d’abord.

On reconstitue petit à petit la vie de Pierre, sa passion pour Rosa Bonheur et Simone Weil, la philosophe, la découverte de la nature. L’écriture prend de l’ampleur au fur et à mesure de la lecture, jalonnée de réflexions qui donnent à réfléchir.

La tête est la seule chose qu’on ne puisse pas vider. Au moins peut-on choisir avec la quoi la remplir.

Le narrateur Pierre, se pose dans la vie, bien nécessaire pour laisser partir toutes les turpitudes passées et actuelles. Son histoire d’amour avec R. est joliment bien écrite, les pages sur Rosa Bonheur aussi et me donnent envie de mieux connaître cette femme avant-gardiste sur son temps bien que ses peintures sur les vaches ne m’inspirent pas plus que cela. Quand je retournerai au Musée d’Orsay, je prêterai plus attention à ses toiles.

Aimer la même personne tout sa vie.

J’aimerais savoir si c’est vrai, si ça existe, si ça peut. Tout autour de moi me prouve que, si ce n’est pas totalement impossible, c’est pour le moins très rare. Bien des gens croient aimer tant que le désir dure, tant que la curiosité ou l’admiration les tient. Mais je parle d’un autre amour, comme celui de Rosa et de Nathalie, celui de Paulette et d’André, celui de mes parents, même. Ils ont le bonheur de savoir être malheureux ensemble. Chez eux, le temps et la mémoire, les soucis et le chagrin finissent par se mélanger, se touillent au fond d’une gamelle, puis lèvent comme une pâte à beignets et finissent par faire de l’amour.

Peut-on aimez une bonne fois pour toutes ? Comme on se débarasse d’un souci ? Comme on résout une équation ? Personne de sensé aujourd’hui ne voudrait croire à cela. Moi, j’y crois. Parfois, quelque chose en moi se soulève, comme un voile qui se gonfle. Ça obstrue, ça comble le vide. Quand je me crois voué à la solitude, j’entends ce souffle qui remue et qui me dit que j’ai tort.

Ce livre me donne envie de le relire pour mieux ressaisir tout cette vie qui se mélange à la nôtre.

J’ai encore à lire de cette auteure « Les singuliers » qui parle de cette communauté de peintres qui s’installe à Pont-Aven avec Gauguin en tête.

On peut aussi découvrir la jeunesse du narrateur de « Bonheur  fantôme » dans un « Point de côté ». Je le lirai certainement.

Nos âmes la nuit

Kent Haruf

Pavillons/Robert Laffont, 2016

Un soir, Addie Moore, septuagénaire, demande à Louis Waters, un voisin, s’il veut dormir avec elle la nuit. Discuter dans le noir et dormir ensemble. Rien de sexuel, là-dedans, juste de la compagnie.

Voici ce que raconte ce livre qui commence donc par cette demande un peu particulière. Je comprends cette demande. Le soir, quand on vit seul, est le moment où on ressent le plus sa solitude. Pour ma part, je situe ce moment précis où on éteint la lumière et où la nuit nous renvoie à sa solitude la plus profonde.

J’ai beaucoup aimé lire ce livre empli de douceurs.

C’est un livre simple et magique. Livre de bonheurs. Malgré les qu’en-dira-t-on, Addie et Louis poursuivent leur relation. Des embûches viendront perturber leur belle histoire mais ils sauront récréer leurs petites bulles de bonheur.

Livre doudou par excellence avec des personnages de bonne composition.

Petit livre à lire en période de tumultes.

 

Magique aujourd’hui

Isabelle Jarry

Gallimard, 2015

Présentation de l’éditeur

Dans un futur proche, Tim est un jeune chercheur ; il entretient une relation fusionnelle avec Today, son assistant androïde. Lorsque Tim est envoyé une semaine en cure de déconnexion dans une campagne isolée, sans réseau ni communications, le robot, livré à lui-même, va s’essayer à l’autonomie. Tim fait l’expérience de la solitude et du sevrage. Plongé en pleine nature, il découvre le lien puissant qui l’unit à la terre, au ciel, aux animaux. Le jeune homme se dévoile au fil des situations tandis qu’on assiste, ému et réjoui, à la naissance d’une conscience et d’une personnalité originales : celles du robot. Dans un texte où affleurent sans cesse l’humour et la poésie, Isabelle Jarry nous propose quelques visions de ce que pourrait être le monde de demain, ou plutôt de cet «aujourd’hui magique», que nous voudrions enchanté par la technologie.

Mon avis

Ce livre est un cadeau offert par une personne proche. Cette personne ne savait pas que je connaissais cette auteure pour avoir lu et apprécié deux autres de ses romans : Millefeuille de onze ans et J’ai nom sans bruit. Déjà, ce que j’en lisais de la présentation de l’éditeur me plaisait : les liens avec les nouvelles technologies et leurs dérives, l’expérience de la solitude…

Donc, j’ai commencé la lecture avec beaucoup de plaisir. Il y avait plusieurs choses intéressantes dans l’histoire de Tim et de son robot Today. Today est un androïde de la taille d’un enfant de 12 ans. C’est un robot à l’attachement profond qui évolue en fonction des interactions avec son maître. Cette histoire se passe dans un futur proche (2050).

Tim aimait Today. Il voulait le garder pour lui, et rien qu’à lui. En faire une sorte de colocataire idéal. Et il y serait sans doute parvenu sans le contrôle de la médecine cybernétique qui venait de l’extraire de son cocon. « Non, Tim, on ne pactise pas ainsi avec les machines, elles ne sont pas des camarades de jeu ordinaires. Oublie un peu ton robot domestique et reviens parmi tes semblables. » Le gouvernement ne permettait pas ce genre de dérives, trop conscient des risques qu’elles auraient pu faire courir à la société tout entière. Les machines « intelligentes » étaient devenues en moins de dix ans le premier facteur d’addiction et quasiment personne n’y échappait.

On suit le séjour de Tim en cure de désintoxication dans une zone blanche et on suit aussi le petit androïde Today qui se retrouve livré à lui-même. Tim n’ayant pas pu le prévenir.

On découvre au fur et à mesure de la lecture que Tim faisait des recherches sur les situations, les conditions et les réactions extrêmes et en particulier s’intéressait à un japonais, M. Izumi qui a vécu seul dans la zone autour de Fukushima depuis la catastrophe nucléaire de 2011, donc plus de quarante ans.

Il met en parallèle sa solitude à celle de M. Izumi. Tim retrouve sa dimension humaine en étant seul, en retrouvant la conscience de son corps par les travaux physiques, par le temps passé seul où ses pensées peuvent de nouveau vagabonder.

Il se dit seul alors qu’il est accueilli chez une dame un peu abrupte.

J’ai beaucoup aimé un passage où Tim découvre dans la maison de son hôtesse une vraie bibliothèque assez conséquente. J’aime l’émerveillement qu’il ressent face à celle-ci et compare par rapport à l’accès des données sur internet.

Tim parcourut encore les rayonnages, explorant au hasard, tirant un livre par-ci, un dossier par-là, laissant aller ses yeux de bas en haut et de long en large,ne sachant où donner de la tête, curieux de tout, pris soudain d’un émerveillement devant cette accumulation, cette forêt de livres et de papiers. En bas, la musique, après un long lamento mélodieux, s’était arrêtée. Ce qui frappait dans la quantité de documents, c’était sa présence physique, plus encore que son importance. Tim, virtuellement, avait accès à tous les documents du monde, mais il ne les voyait pas. Il devait les chercher un par un sur internet. Et il devait trier parmi la somme d’entrées qui lui était proposée. Jamais pourtant il n’avait la possibilité de « voir », de « toucher », de chercher au hasard, de se laisser surprendre. Si ! Cela arrivait aussi sur le net, il avait parfois d’heureuses surprises, des choses totalement inattendues qui apparaissaient sur des sites qu’il n’aurait jamais songé à consulter si le moteur de recherche ne les lui avait mis sous le nez. Mais cela surgissait par hasard. Tim, face à cette bibliothèque, éprouvait une sensation de possession tout à fait inhabituelle. Il ne pouvait englober du regard tous les livres et documents présents, mais il aurait pu, s’il l’avait voulu (et s’il en avait eu le temps), les sortir un à un de leurs rayonnages et les ouvrir, les parcourir ou les lire, regarder les illustrations, s’asseoir sur le divan avec un de ces milliers de dossiers et en prendre connaissance. Dans le même temps il prenait conscience de la durée qui seule avait permis de rassembler autant de choses. Ce qu’avait fait le propriétaire de cette collection d’archives (car nul doute qu’il avait lu tout ce qui se trouvait ici, et parfois même écrit ou produit lui-même certains rapports, mémoires, articles), Tim ne pouvait le refaire. C’était l’œuvre d’un vie entière.

J’aime aussi quand il parle d’un ami qu’il qualifie d’ « explorateur urbain ».

J’aime aussi l’attachement à son robot avec qui il échangeait en permanence.

Today était cet autre qui permettait à Tim de ne pas rester enclos dans son for intérieur, qui ne laissait pas la richesse de sa vie intime se déployer dans l’espace de sa seule pensée.

Je comprends cela. On a pas un être près de soi avec qui partager ses pensées en permanence. L’échange avec un autre est enrichissant. Il y a des couples d’intellectuels qui ont vécu cela au quotidien comme Sartre et Beauvoir. La lecture des livres permet cela aussi. Entrer dans la pensée d’un autre via ses mots permet d’enrichir sa pensée au quotidien.

La fin du roman peut laisser perplexe au premier abord. Mais on sent que les androïdes si intelligents et attachants vont prendre une place de plus en plus importante dans cette société du futur et l’homme peut retrouver dans la nature des sensations qu’on pouvait croire à jamais perdues. L’intelligence humaine existera toujours mais pourra faire partie des territoires à reconquérir.

Ce livre m’a fait penser tout de suite au film « Her » de Spike Jonze où Joaquim Phénix tombe amoureux de Samantha, un Operating System. Bon OK, la voix de l’OS en question avait la voix suave de Scarlett Johansson.

Ce livre était dans ma PAL depuis plus d’un an.

Le Grand Jeu

legrandjeu

Céline Minard

Rivages, 2016

Présentation de l’éditeur
Installée dans un refuge high-tech accroché à une paroi d’un massif montagneux, une femme s’isole de ses semblables pour tenter de répondre à une question simple : comment vivre ? Outre la solitude, elle s’impose un entraînement physique et spirituel intense, où longues marches, activités de survie, slackline et musique vont de pair avec la rédaction d’un journal de bord. Saura-t-elle « comment vivre » après s’être mise à l’épreuve de conditions extrêmes, de la nature immuable des temps géologiques, de la brutalité des éléments ? C’est dans l’espoir d’une réponse qu’elle s’est volontairement préparée, qu’elle a tout prévu. Tout, sauf la présence, sur ces montagnes désolées, d’une ermite, surgie de la roche et du vent, qui bouleversera ses plans et changera ses résolutions. Avec son style acéré, Céline Minard nous offre un texte magistral sur les jeux et les enjeux d’une solitude volontaire confrontée à l’épreuve des éléments.

Ma lecture
J’ai choisi ce livre pour ce thème : éprouver la solitude dans un lieu isolé. Je n’ai jamais lu de livres de Céline Minard. Cette femme s’isole mais on ne sait pas pourquoi elle fait cela. Que fuit-elle ? Elle a investi dans un équipement high-tech et elle envisage de vivre en autarcie totale. Elle cultive un potager. Son installation est audacieuse : une structure accrochée à la montagne. L’écriture est peu introspective dans la psychologie de la narratrice mais très descriptive de la force implacable de la nature, de son environnement. On peut lire ce livre en ayant son carnet de dessin à proximité : la montagne, l’installation, la roche, le moindre geste, le moindre mouvement, tout est décrit si précisément qu’on peut le dessiner, si bien sûr, on maîtrise le vocabulaire (vire, géodésique…). L’environnement naturel est prédominant. Les éléments sont imposants dans le quotidien. Elle doit interagir sans cesse avec la nature, la rudesse de la montagne. Il lui faut être souple, physique. Tout semble avoir été prévu. Elle aménage son territoire pour y circuler facilement (tel une Robinson Crusoé) et tout sera bouleversé par une ermite, une none qui vit là de façon très rude. Je n’ai pas compris d’où elle venait, qui elle était mais elle mène une vie très particulière et dangereuse, très simple, austère, loin des conventions humaines. Pour moi, ce fut une lecture particulière mais ce livre révèle une prouesse d’écriture avec un univers, une condition de vie spécifique, un lexique ultra précis. C’est un livre qui mériterait pour moi une deuxième lecture afin de mieux saisir cet objet littéraire.

J’ai dans ma PAL « So long, Luise » à lire mais j’ai cru comprendre que Céline Minard multipliait les genres. Céline Minard est une exploratrice en littérature finalement.

 

L’autorité : le grand jeu de l’humanité ? 

L’attention est une capacité de l’esprit à se rendre disponible, à rassembler ses forces et à les mobiliser pour résoudre le problème qui se présente. Mais se que se passe-t-il quand l’attention se concentre sur aucun problème ? Quand elle s’occupe de la respiration par exemple, la respiration devient-elle un problème ?
Est-ce que ce genre d’objet permet de produire une attention non détournée ? Ni par un jeu, ni par un art, ni par un sport, une promesse ou une menace. Par aucune espèce de règle. Tout proche d’un risque et d’un choix fondamental : respirer plutôt que fermenter, pomper le sang plutôt que la sève.

Le vide est une étude personnelle. 

J’ai lu. J’ai lu toute la journée. Dès le réveil, d’abord sur la couchette, les pieds en l’air, croisés, appuyés sur la paroi, les bras tendus, la nuque calée sur l’oreiller en écoutant la pluie tomber sur la coque de résine de mon refuge. J’ai lu assise au sol devant l’œil-de-bœuf, le dos calé contre le cube, en regardant la pluie couler sur la grande vitre en petits ruisseaux serrés. J’ai tourné le dos au soleil pour capter la lumière sur la page et j’ai lu appuyée sur la vitre qui commençait à sécher. Au bout d’un moment, j’ai senti la chaleur au travers de ma lecture.

 

La vie au ralenti en ce Noël

Parfois, il y a des lectures qu’on ne devrait pas lire au moment de Noël qui est je crois un moment pas toujours facile à vivre pour nous les adultes.

Alors, j’ai commencé il y a quelques jours « La vie au ralenti » de Kjersti A. Skomsvold. Je ne sais plus ce qui m’avait attiré dans ce livre. Cela parle de solitude et j’aime les livres qui parlent de solitude. Je suis une grande solitaire.

Mais là, c’est solitude et folie. En effet, c’est un livre très triste. On est dans la tête d’une vieille dame de presque cent ans. Elle est très seule et dialogue dans sa tête en rime. Son mari Epsilon est décédé. On comprend que c’est une femme particulière avec une vie particulière qui a vécu terrée chez elle même quand elle était en couple. Elle a des envies d’aller vers les autres mais cela n’aboutit pas. Au dernier moment, elle y renonce.

Je n’ai pas fini la lecture de ce livre, je pense le poursuivre néanmoins. Je ne sais pas où l’auteur va nous mener. Dans la 4e de couverture, on y parle de « récit drôle et poignant de la vieillesse approchant de son terme ». Et je n’arrive pas à trouver cela drôle, c’est plutôt désespérant quand on sait qu’une multitude de personnes vivent de façon très isolée et vivent plutôt mal cette solitude.

Je viendrai vous raconter la suite de ce livre si j’arrive à le finir.

En attendant, je vous souhaite un joyeux Noël.