Erri de Luca
Folio, 2016
J’ai énormément apprécié ce roman, le premier que je lis d’Erri De Luca. Le narrateur est un homme droit qui a partagé sa vie entre l’Argentine et l’Italie ainsi que la vie de deux femmes aimées. Il a vécu un drame en Argentine sous la dictature militaire et a du fuir en Italie. C’est un homme qui vit simplement, vivant de ses dons de jardinier, d’habitudes (manger dans le même petit resto le midi tout en lisant), disponible aux autres en vivant une certaine solitude. L’écriture est sereine et aussi distante par rapport aux affres vécus par son narrateur. Une certaine philosophie ressort de ce petit livre : il faut avancer dans la vie et être à l’écoute des autres offre des possibilités, des rencontres, des occasions qui modifient le cours de la vie…
Je lis des vieux livres parce que les pages tournées de nombreuses fois et marquées par les doigts ont plus de poids pour les yeux, par ce que chaque exemplaire d’un livre peut appartenir à plusieurs vies. Les livres devraient rester sans surveillance dans les endroits publics pour se déplacer avec les passants qui les emporteraient un moment avec eux, puis ils devraient mourir comme eux, usés par les malheurs, contaminés, noyés en tombant d’un pont avec les suicidés, fourrés dans un poêle l’hiver, déchirés par les enfants pour en faire des petits bateaux, bref ils devraient mourir n’importe comment sauf d’ennui et de propriété privée, condamnés à vie à l’étagère.
Ainsi toute la journée je suis dans un jardin où je m’occupe d’arbres et de fleurs, où je reste silencieux de bien des façons, pris par quelque pensée de passage, une chanson, la pause d’un nuage qui enlève au dos soleil et poids.
Il est étrange de se savoir perdus tous les jours sans jamais se dire adieu.
Les jours se passent comme ça. Le soir, chez moi, j’écrase des tomates crues et de l’origan sur des pâtes égouttées et je grignote des gousses d’ail devant un livre russe. Il rend mon corps plus léger.
C’est ce que doivent faire les livres, porter une personne et non pas se faire porter par elle, décharger la journée de son dos, ne pas ajouter leurs propres grammes de papier sur ses vertèbres.