Valérie Tong Cuong
JC Lattès, 2017
Lire « Par amour » de Valérie Tong Cuong fut pour moi un moment plein d’émotions.
J’apprécie depuis longtemps les livres de Valérie Tong Cuong, la sensibilité qui s’en dégage me touche autant que son auteure.
De plus, ce roman a pour cadre la ville du Havre pendant la Seconde Guerre Mondiale et c’est une ville chère à mon cœur. J’y ai vécu le temps de faire mes études et de me libérer du carcan familial. Ce fut des années décisives dans mon parcours de vie.
Donc, en lisant ce roman, Valérie Tong Cuong a répondu à mes interrogations que j’avais alors sur le drame qu’ont vécu les habitants du Havre pendant la guerre. Cela se ressent dans le peu de traces du passé d’avant la guerre et par l’architecture imposante d’Auguste Perret. Cela se ressent aussi dans la mémoire collective havraise, enfin je le ressentais quand j’y vivais il y trente ans.
Valérie Tong Cuong nous fait revivre dans « Par amour » cette période douloureuse qui a aboutit à la destruction quasi totale du Havre (85%) et de la quasi évacuation de sa ville. On vit l’exode pour fuir les Allemands, l’occupation, la libération qui se traduit par de violents bombardements anglais à travers les différentes voix d’une famille : Emelie et son mari Joffre, leurs deux enfants Lucie et Jean ainsi que la tante Muguette et ses deux enfants Marline, cette petite fille qui ne parlait plus et Joseph. On vit tout ceci à travers les yeux des enfants et des adultes. On est dans leur intimité, leurs pensées, leur quotidien et on est sur la route avec eux, on est dans leur détresse et leur combat pour survivre. J’ai été très touchée par le personnage de Marline, cette petite fille devenue muette et j’attendais tout au long du livre d’entendre sa voix et ce fut une émotion de la découvrir. On vit l’Histoire mais aussi l’histoire de cette famille avec ses secrets, leur amour très fort et leur force.
Les enfants sont incroyables. On a l’impression qu’ils ne se plaignent jamais et surtout qu’ils ne veulent pas chagriner leurs parents et ne montrent rien. Ils ont une confiance aveugle en leurs parents et saisissent aussi très bien la situation. On découvre que les petits havrais ont été accueillis dans des familles d’accueil dans les campagnes mais aussi en Algérie ou en Suisse afin de les protéger de la vie dangereuse du port havrais.
La voix de Joffre :
J’aimais beaucoup Muguette et ses enfants, surtout ma petite nièce Marline qui m’intriguait à se taire comme si elle en savait long mais ne dirait jamais rien, cela me faisait l’effet d’un lien entre nous, deux combattants de l’ombre engagés dans nos guerres singulières.
La voix de Lucie :
Une fois encore, la guerre m’apprenait à être triste et heureuse au même moment. La guerre ou plutôt la vie : car quoiqu’en pensent les Guérin, les Boches n’avaient rien à voir avec tout cela.
Lire ce livre, c’est lire la plume incroyable de Valérie Tong Cuong qui arrive toujours à nous faire entrer dans la vie de ses personnages et être en empathie avec eux. Ce roman a certainement nécessité un incroyable travail de documentation et de recherche. Ce livre est une perfection à nous faire vivre ce moment humain dramatique. On ne voit pas les personnages et les lieux, nous devenons les personnages de cette histoire et vivons chaque instant avec eux. Ce livre est à lire et à faire lire.
Mes parents avaient 6 ans en 1940 et vivaient à 20 km de Rouen. Le seul souvenir que ma mère m’avait raconté de cette période est qu’un matin, des allemands s’étaient installés dans la cour de leur fermette et étaient restés 2-3 jours. En étant loin des endroits stratégiques et plutôt isolés dans la campagne normande, ils n’ont pas soufferts de bombardements mais ont surtout soufferts certainement de la faim. J’en ai ressenti l’effet tout au long de mon enfance : ne rien jeter, devoir toujours finir son assiette…